
Dans l'ordre habituel: Rangée d'en haut: le grand-père Eugène, Adrienne (?) Camil (6). Rangée no 2: Sénécal, Angélis, Éliana (?), Jean-Charles Gagné, la grand-mère Marie. Parmi les autres enfants, je crois reconnaître Olivette (à droite) mais j'ai besoin d'aide pour les autres!
Vous imaginez-vous recevoir à souper et à coucher un homme cognant simplement à votre porte en demandant la charité? Vous imaginez-vous lui offrir l’hospitalité pendant 1 semaine, 1 mois? Et pourtant, c’est ce que faisaient le grand-père Eugène et la grand-mère Marie et, après lui, grand-papa Lauréat et grand-maman Alexina.
La photo ci-dessus représente la famille en compagnie de Sénécal (1er à gauche – 2ième rangée) Elle est une gracieuseté de Frances, qui l’a obtenue d’Olivette. Un gros merci à elles deux pour leur précieuse collaboration! En plus de dynamiser considérablement notre expérience virtuelle, le fait de partager ces trésors nous permet d’enrichir notre « culture familiale ».
Mais qui étaient les quêteux? Chose sûre, ces vagabonds d’autrefois étaient perçus de façon extrêmement différente que ne le sont les itinérants d’aujourd’hui. En effet, recevoir les quêteux allait pratiquement de soi pour bien des familles. On ne laissait pas dans la misère un être dans le besoin. La solidarité n’avait pas la même connotation que maintenant. Elle faisait partie de la vie au même titre que le fait d’être autosuffisant ou d’avoir plusieurs enfants. N’oubliez pas qu’il n’existait alors pas d’assurance-maladie, pas d’assurance-chômage et pas non plus de bien-être social. Sans filet social sur lequel se fier, les gens mettaient donc eux-mêmes sur pied leur propre formule d’entraide.
Il existe aussi parallèlement au Québec une certaine mythologie entourant le personnage du quêteux. En effet, il était censé apporter la chance, comme en témoignent des expressions telles Avoir plus de chance qu’un quêteux ou Chanceux comme un quêteux qui perd sa poche (puis qui en trouve deux). Le Dictionnaire des expressions québécoises (DesRuisseaux, Pierre, Éditions Hurtubise HMH 2003) ajoute aussi que : « Le quêteux apporte la chance, mais, pour que celle-ci nous favorise, il faut lui offrir le gîte et le couvert » Doit-on soupçonner un relent de morale judéo-chrétienne? Peut-être, mais dans le fond, peu importe. C’était le geste qui comptait.
Aventuriers allergiques au quotidien, poqués de la vie, vagabonds paresseux, chacun d’entre eux avait son histoire. Voici donc ceux du rang 3 de Ste-Croix, tels qu’ils subsistent dans la mémoire de Gelo. J’ai bien sûr dû « adapter » son histoire afin de passer de la forme orale à la forme écrite. J’aimerais éventuellement vous le faire écouter « live » sous format MP3 afin que vous puissiez apprécier ses talents de conteur…. En attendant, voici la première vraie « Histoires de Gelo ». Je vous prie de m’excuser à l’avance pour les libertés que j’ai prise avec l’histoire et les erreurs de transcriptions qui pourraient subsister lors du passage de la forme orale à la forme écrite. N’hésitez pas à rajouter/corriger/commenter l’histoire. Le blogue est fait pour ça. Pour la façon de faire des commentaires, voir l’article « Faire un commentaire ».
TRANSCRIPTION DES SOUVENIRS DE GELO (JUIN 2008)
Tout ça se passe dans le 3 de Lac-à-la-Croix, chez le grand-père (Eugène). Dans ce temps-là, nous étions à peu près 20 à vivre dans cette maison-là. Il y avait le grand-père, la grand-mère (Marie), Lauréat, Alexina et les plus vieux des enfants, « son oncle » Uldérik et « son oncle » Camil. Chez le grand-père, c’était une maison ou ils ont toujours pris soin du monde malpris, un gars qui avait perdu sa femme, ou qui était tout seul, le grand-père et la grand-mère, eux-autres, ils les acceptaient.
Sénécal et Pierre Dumont, les quêteux qui venaient chez le grand-père, ne « quêtaient » pas vraiment. Il y en avait qui passaient seulement par les maisons pour demander de l'argent. Dans ce temps-là, ma mère leur donnait 1 ou 2 cennes ou encore 5 cennes, mais 5 cennes c'était plutôt rare, c'était surtout des cennes. Sénécal et Dumont, eux-autres, ils restaient chez-nous pendant 3 semaines, 1 mois. Ils avaient la place privilégiée à table, à droite du grand-père, étaient servis en même temps que tout le monde et avaient leur chambre.
Pierre Dumont était toute une pièce d’homme de 6 pieds 4 et de 240 livres qui venait une fois par année. Il arrivait dans le rang 3 au mois de mars. Il restait 3 semaines, 1 mois. Il avait « ses » maisons. Il restait un mois chez Eugène Gagné, un mois chez Alfred Martin, puis, au bout d'une secousse, il disait qu'il s'en allait chez un tel dans la paroisse voisine. C'était un choix de vie.
Il avait une grande canne pareille comme celle d'un monseigneur. Il ne quêtait pas vraiment mais il ne travaillait pas vraiment non plus. Il arrangeait les horloges. Il la démontait, la nettoyait et la remontait. Il faisait ça dans son mois. À part de ça il ne faisait rien.
Il avait le parkinson et tremblait mais il a vécu assez vieux. Je pense qu’il est mort chez Pit Paradis, qui s’occupait de ses affaires. Il s'assoyait à côté de moi à table. Nous devions être polis avec les quêteux, même s’il arrivait, de temps en temps, qu’on écoute pas nos parents…
Pis au bout d'une secousse, en mai ou en juin, c'était Sénécal qui arrivait. Il avait une jambe de travers, comme pliée en deux. Il fallait qu'il marche avec une canne. Il faisait des chapelets en noisette ou en perles et il rentrait le bois. Il ne savait pas comment rentrer le bois et il ne l'a jamais su. Ya toujours renversé son traîneau de bois parce qu'il le chargeait pour trois hommes.
C’était pas du mauvais monde. Ils n'étaient pas mauvais et pas malcomodes. Ils dérangeaient c'est sûr un peu parce que c'étaient des gars qui restaient dans maison. Ils ne sortaient pas beaucoup dehors. C’était plus d'ouvrage pour ma mère et ma grand-mère. Ça devait être tannant un peu pour eux-autres. Mais dans ce temps-là, c'était la mode, t'endurait pis c'est toutte, ça finit là.
Permettez-moi de terminer avec ma propre histoire de quêteux. Depuis une bonne dizaine d’années, je vois arriver, au printemps, un vagabond dans mon quartier. Son arrivée annonce le printemps aussi sûrement que les outardes. Grand gaillard barbu aux cheveux longs, droit comme un piquet, papier journal dépassant de ses bottes, il déambule tranquillement dans les rues du quartier. Il y a quelques années de ça, influencée sans doute malgré moi par mes racines, j’ai stationné ma voiture en bord de route pour courir après lui et lui donner 10 $. Il a regardé le billet, puis, sans dire un mot, il m’a fait signe qu’il n’en voulait pas, puis est reparti rapidement. Comme quoi il y a encore des Pierre
Dumont et des Sénécal qui traînent dans le coin!
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